LE CONTACT ET LA SÉCURITÉ AFFECTIVE
Vous connaissez peut-être l’expérience suivante : vous privez un bébé singe du contact de sa mère et de toute source de nourriture. Au bout de quelques jours, vous le mettez face à deux cages contenant pour la première un plateau de nourriture, et pour l’autre une fourrure de singe.
Quel choix croyez- vous qu’il fera ? La fourrure bien sûr, car les mammifères ont d’abord besoin de nourriture affective (contact peau à peau) pour grandir et évoluer en étant sécurisé. Concernant les primates, les expériences du psychologue américain Harry Harlow ont montré, dès la fin des années 1950, l'importance du contact physique entre la mère et son petit dans le développement du singe rhésus.
Et l'on sait également l'importance du toucher dans le développement psychologique des enfants : privés de contact physique, ils peuvent plonger dans un état dépressif, comme en témoignent les tristement célèbres orphelinats de l'ère Ceausescu, en Roumanie.
Chaque espèce vivante a un sens dominant. Pour le chien, c’est l’odorat, pour la chauve souris, c’est son sonar, l’aigle quant à lui, survit grâce à sa vue...).
Chez l’homme adulte, nous nous servons essentiellement de la vue et de l’ouïe pour appréhender le monde. Ce n’est pas le cas pour le nouveau né qui vient de sortir d’un milieu clos, humide et noir ! Le premier sens à se développer chez l’embryon est le toucher. Ce sera le sens dominant du bébé et il restera toute notre vie un outil de perception très sensible. La plus grande zone de notre cortex (la zone post-sensitive) est d’ailleurs entièrement dévolue au contact et plus particulièrement au contact maternel (1) lorsque nous sommes de jeunes enfants.
Cela signifie que le nouveau né n’est rassuré qu’au contact de la peau de sa mère (l’odorat participe aussi à cette sécurisation). Séparé de sa mère (c’est à dire en perdant le contact peau à peau), un bébé ne se sent plus en sécurité. Pour son cerveau, c’est comme s’il était abandonné et livré à lui même dans la nature hostile. A tout moment, il peut être la proie d’un prédateur. C’est alors que la zone post-sensitive « s’allume » signalant une alerte vitale. Très vite le bébé se mettra à pleurer pour appeler sa mère (2).
Un bébé ne pleure que pour trois raisons : la faim, la douleur, ou la perte de contact peau à peau.
Dans les trois cas, il est dans une angoisse de séparation qui ne sera soulagée qu’au contact de sa mère. (C’est elle qui biologiquement est censée nourrir, soulager et protéger)
Une personne n’ayant pas été suffisamment sécurisée par le contact peau à peau avec sa mère risquera, à l’âge adulte, d’être en proie à des angoisses inexpliquées. Elles sont l’expression d’un besoin de sécurité affective non satisfait, mémoire d’une mère trop distante quand nous avions besoin d’être rassuré.
Chez le rat, divers travaux ont mis en évidence l'importance du toilettage et du léchage maternel sur sa progéniture : plus les petits sont léchés après leur naissance, et moins le taux d'une hormone de stress comme la corticostérone est élevé.
Le toucher est le sens de l’amour et de la sécurité affective. Par le portage d’un bébé, un câlin, un massage ou des caresses lors d’un échange amoureux nous sécrétons l’hormone de l’attachement : l’ocytocine. Cette hormone est aussi celle du lien qui nous rassure et nous sécurise sur le plan affectif tout au long de notre vie. Elle est d’ailleurs aussi considérée comme l’hormone de la fidélité dans le couple. (3) L’ocytocine nous rend confiant en nous même et en notre partenaire. C’est un filtre d’amour. Alors touchez votre conjoint si vous vous souhaitez le garder pour vous !
L’épouillage pour plus de chaleur humaine
Cette relation entre le toucher et l’amélioration du lien affectif s’exprime à travers l’une des principales fonctions de l’épouillage chez les singes bonobos. Des chercheurs viennent de découvrir que cette activité modifie l’activité de la peau qui devient alors plus efficiente dans la conservation de la chaleur interne du corps. Le singe conserve ainsi plus d’énergie qui sera utilisée pour la reproduction et la recherche d’aliment.
On savait que l’épouillage est une façon de créer du lien social, d’éliminer des tensions au sein du clan. On comprend ici que « chercher des poux » est l’équivalent de cette caresse dans les cheveux source de chaleur corporelle et de tendresse. Les enfants « tête à poux » demandent inconsciemment la caresse de leur mère. Ils cherchent ainsi un contact bienveillant qui apportera de la chaleur et de la sécurité affective.
Des caresses contre les escarres
Ce qui est vrai pour l’enfant l’est aussi pour les personnes âgées qui se sentent délaissées. Abandonnées dans leur lit, privées de contact physique chargé d’un minimum de tendresse, elles développent souvent des escarres. Escarres est l’anagramme de caresse! Les escarres sont des lésions (ulcérations) de la peau dont l’origine médicale est attribuée exclusivement aux pressions et frottements répétées quand l’on reste alité ou en fauteuil roulant. Mais toutes les personnes longtemps alitées ne souffrent pas d’escarres.
Seules celles qui manquent de contact charnel chargé d’affect développeront ce type de lésions. La circulation se ralentit localement, la peau perd peu à peu sa sensibilité à l’image du malade qui est privé de contact chaleureux. On sait d’ailleurs en milieu hospitalier que la prévention des escarres passe entre autre, par le massage. Mais un message mécanique ne saurait remplacer un toucher chargé d’affect et de bienveillance.
Le docteur Olivier Florent (3) raconte l’histoire d’une rencontre qu’il a faite à l’hôpital psychiatrique avec une femme atteinte de démence qui n’arrêtait pas de hurler ses angoisses toute la journée. Il fit l’expérience de lui prendre tendrement les mains. Cette femme réagit en prenant à son tour la main de ce médecin et l’amena jusqu’à sa joue pour se donner une caresse. Elle a ensuite embrassé cette main et durant toute l’après midi suivant cette rencontre cette femme a cessé de hurler. Elle fût rassurée par ce simple contact charnel comme un bébé serait rassuré dans les bras de sa mère.
Que ce soit le nouveau né qui pleure, l’enfant qui « attrape » des poux ou la personne âgée alitée qui fait des escarres ou qui est angoissée, ils sont tous en demande de contact charnel, de câlin et de tendresse. A tous les âges de notre vie nous avons besoin d’être touché par des mains accueillantes pour notre équilibre affectif. Aux Etats Unis, il n’est pas rare de trouver sur les trottoirs des personnes offrant un câlin gratuit (Hug) comme s’il fallait compenser l’excès de matérialité et de technologie qui caractérise notre société capitaliste.
Une société qui instrumentalise le corps, qui offre tout sauf l’essentiel, le contact peau à peau, premier langage de l’amour, si important dans les sociétés traditionnelles.
Nous verrons dans un prochain numéro, que ce contact est peut-être l’un des éléments clefs pour redonner à une certaine jeunesse occidentale le goût de l’effort, le courage face à l’adversité tout en conservant des valeurs comme l’écoute, la conscience de l’autre et le respect de son prochain.
Fin de la première partie
(1) les ¾ de cette zone post-sensitive traitent exclusivement du contact à la mère, le quart restant étant réservé essentiellement au contact avec le père et ensuite aux autres membres du clan.
(2) Dans la nature, la mère est celle qui est censée être toujours à proximité de sa progéniture pour le protéger
(3) Dr Olivier Florent auteur du livre : « Aimer après la foudre et l’orage-Secrets bien gardés de la fidélité » – Edition du cerf.
Comments